Lorsque l’on évoque le quartier de la Croix-Rousse, sa spécificité en regard des autres arrondissements de Lyon s’impose d’emblée. Qualifié tantôt de « village », tantôt de « ville dans la ville », le plateau de la Croix-Rousse bénéficie d’une représentation à part, qui s’est construite tout au long de son histoire autour des notions de solidarité et de convivialité instituées par les artisans de la soie qui l’ont peuplé dès le début du XIXème siècle.

Progressivement délaissé, voire paupérisé lorsque prit fin l’âge d’or du tissage à la fin du XIXème, le 4ème arrondissement a connu plusieurs mouvements de population. Artisans, artistes, immigrés, et même les populations plus aisées qui se sont installées durant les trente dernières années, ont chacun participé, consciemment ou non, à perpétuer cette image de quartier « à part », à la fois dans et en dehors de Lyon.

L’identité croix-roussienne qui s’est forgée au cours des années a ainsi assimilé des populations, si l’on s’en tient aux seuls critères socio-économiques, que rien ne prédestinait à réunir au sein d’un même espace urbain. Cette nouvelle mutation, que l’on observe depuis les années quatre-vingt et qui voit s’installer une frange de population de type cadres moyens / cadres supérieurs, se poursuit et se manifeste concrètement, et en premier lieu, par une densification du bâti.

Mais ce changement de population n’a pas pour seule conséquence la modification du paysage foncier : les nouveaux arrivants amènent également avec eux des pratiques différentes dans leur interaction avec leur environnement urbain.

Ainsi, on observe une recomposition, lente mais certaine, du paysage économique dit « de proximité » du plateau croix-roussien. Depuis longtemps considérés comme vecteurs de sociabilité d’un espace urbain, les commerces de proximité voient leur présence se réduire d’une part, mais également se concentrer autour d’axes clairement identifiés, parmi lesquels, en premier lieu, l’espace délimité par les rues Belfort, la Grande-Rue, la rue Hénon et le boulevard de la Croix-Rousse. On ne manquera pas de souligner un paradoxe : la raréfaction des commerces dans les zones nouvellement bâties, et leur regroupement en dehors de ces mêmes zones, pourtant potentiellement de plus en plus riches en clientèle.

Plusieurs explications peuvent être avancées, en premier celle de la conjoncture économique, qui pousse les ménages vers les moyennes surfaces, plus éloignées, détenues par les réseaux de grande distribution ; citons encore la hausse des prix du foncier, désormais hors de portée des commerçants indépendants. Mais l’arrivée d’un population nouvelle, qui possède un autre rapport au quartier que les habitants plus « traditionnels » du plateau, a semble-t-il précipité cette recomposition du tissu commerçant, qui voit disparaître des enseignes isolées, ou encore se restreindre des pôles commerciaux excentrés, malgré leur implantation dans des zones de population denses.

Avec ces commerces, ce sont autant de lieux de sociabilité qui disparaissent, risquant à terme de réduire certaines parties du quartier croix-roussien à l’état de dortoir, comme cela a été déjà observé dans d’autres quartiers de Lyon, dans lesquelles les transformations du réseau de sociabilité ont opéré beaucoup plus en profondeur.

L’attractivité du plateau de la Croix-Rousse tient, on l’a vu, à la diversité des populations qui le composent, mais aussi et surtout au réseau de sociabilité qui s’est développé au fil des ans. Allons plus loin encore, en disant que la mixité n’est rien d’autre qu’une vue de l’esprit si elle n’est pas maillée par des liens de sociabilité entre les différents groupes sociaux, et entre les individus d’un même groupe social. Cette diversité, à la Croix-Rousse, se conçoit non pas dans le « vivre les uns à côté des autres », mais bien dans le « vivre ensemble », et dans l’échange.

Le tissu commercial, bien que n’étant pas le seul vecteur de sociabilité sur le plateau, n’en est pas moins un élément primordial, et doit à ce titre être préservé pour éviter que des secteurs entiers de la Croix-Rousse ne deviennent des lieux aseptisés, et sans vie. Par préservation, entendons que tout commerce isolé ne doit pas nécessairement être conservé à tout prix, les réalités économiques ne pouvant pas être ignorées. Mais il est important de maintenir des groupements de commerces dans des secteurs à forte densité de population ; on pense ici notamment au secteur Chazière / Pernon / Bony, on encore Jacquard / Denfert / Couturier.

L’association encourage les initiatives qui permettront de maintenir un tissu économique cohérent, qui ne soit pas uniquement concentré dans l’hyper-centre de la Croix-Rousse constitué par la Grande-Rue et les rues adjacentes.