L’importance de la soie dans le développement de la ville de Lyon est bien connue. Après la tentative avortée de Louis XI d’introduire cette activité dans notre ville, c’est François Ier qui parvient au XVIème siècle à réaliser le mariage entre Lyon et la nouvelle étoffe, symbole du luxe et de la richesse. L’événement a lieu en 1536 avec l’aide de deux piémontais, Etienne Turquet et Bartolomé Naris. L’époque faste de la soierie lyonnaise peut débuter.

Au XVIIème siècle Colbert structure la profession et réglemente ce qu’on appelle la Grande Fabrique où sont regroupées toutes les professions touchant à la production et au tissage du précieux fil. Diverses améliorations techniques voient le jour et la soierie se développe jusqu’au coup d’arrêt donné par la période révolutionnaire. La profession se structure en deux entités : d’un côté les tisseurs, largement majoritaires, ceux qu’on appellera beaucoup plus tard les canuts, et les marchands-fabricants. Le calme revenu, Napoléon relance très fortement l’activité par plusieurs catégories de mesures.

En 1804, l’invention du métier Jacquard, perfectionné par d’autres mécaniciens de talent, va changer la donne. La soierie lyonnaise prend un nouvel élan. Les tisseurs jusque là installés dans le Vieux Lyon et la Presqu’île se déplacent vers la Croix-Rousse, à la recherche d’espace et de lumière. En moins d’un demi-siècle, la colline et le plateau se couvrent d’un ensemble d’immeubles-ateliers à l’architecture caractéristique. Les hautes pièces avec plafonds à la française rendent possible l’installation de la mécanique Jacquard au-dessus du bâti en bois du métier.

Le XIXème siècle voit éclore de nombreuses révoltes dont celles de 1831 et 1834 mais aussi celles de 1848, 1849. A chaque fois la Fabrique souffre mais se relève. Le plateau de la Croix-Rousse est comme une ruche où partout résonne le bruit des métiers. Donnons quelques chiffres sur l’importance de cette activité pour l’année 1878 :

rue Richan , il y a 77 foyers sur 96 attribués à des tisseurs. On compte en moyenne 3 métiers par foyer
rue Justin Godard, il y a 72 foyers de tisseurs sur 120
rue Jacquard, alors qu’on se trouve un peu en dehors de la zone « canut », on compte tout de même 80 foyers de tisseurs sur 200.
La Fabrique connaît encore des années de splendeur même si de nombreux tisseurs sont morts à la guerre. La crise de 1930, très violente, sème le glas de nombreuses entreprises. Depuis 1945 la presque totalité des métiers à bras est arrêtée et ceux qui subsistent sont cantonnés dans la fabrication d’articles spéciaux comme les vêtements d’église, les cravates, les foulards, les pièces pour la haute couture. Ils fonctionnent donc de manière épisodique, en fonction de la demande. Les goûts changent et les métiers mécaniques ne tissent plus les étoffes somptueuses et chamarrées d’antan.

Michel Thoniel, aujourd’hui président de l’Amicale laïque de la Croix-Rousse, a longtemps exercé le métier de gareur et a travaillé à la manufacture Tassinari et Chatel. Lors de sa conférence présentée le samedi 28 janvier à l’occasion de l’assemblée générale de notre association, il a montré que, malgré une conjoncture difficile, en 1956, la rue Richan continuait à être un haut lieu de l’activité du tissage. C’est le cas aux numéros 10, 16 (atelier Thoniel), 20, 22, 24. Sur le côté impair de la rue on tisse aux numéros 13, 15, 19, 21. On tisse également au niveau du passage Richan et de la rue de la Tour-du-pin. Les métiers à bras de l’atelier Mattelon au numéro 10 de la rue sont des survivants de l’époque glorieuse car, sur l’ensemble du plateau, il ne reste plus que 7 ateliers où l’on tisse parfois à l’ancienne. Parfois on pratique du moulinage. On fabrique beaucoup de tissu façonné pour la confection de robes. Au numéro 24 subsiste une activité de tissage pour les ornements d’église On ne tisse pas que de la soie mais bien d’autres textiles nouveaux. Au numéro 19 on tisse même un fil élastique pour fabriquer les corsets. L’atelier de Madame Stival au numéro 13 est particulier. Elle fabrique de la guimperie, c’est à dire des fils d’or et d’argent utilisés pour des tissus particuliers. Au numéro 21 l’atelier de Monsieur Dunoyer, père de Madame Létourneau, fabrique de la passementerie (galons, rubans).

Avec une telle concentration de métiers à tisser, la rue Richan était un peu exceptionnelle. La rue Justin Godard faisait aussi figure de haut-lieu du tissage. Il n’est donc pas très surprenant que dans ces deux lieux on puisse aujourd’hui encore assister à des démonstrations du travail des anciens canuts.